Le cannabis : le fœtus en danger ?

Si le cannabis a des effets psychotropes, c’est notamment par la présence dans le cerveau de récepteurs aux cannabinoïdes, sur lesquels se fixe le D9-tétrahydrocannabinol (THC), principal composé actif du cannabis.

Le rôle physiologique naturel de ces récepteurs restait inconnu à ce jour. En démontrant pour la première fois leur rôle régulateur dans le développement cérébral du foetus, une étude dirigée par Henri Gozlan dans l’unité 29 de l’Inserm « Epilepsie et ischémie cérébrale » (directeur : Yezekiel Ben Ari), suggère que la consommation de cannabis durant la grossesse pourrait retarder le développement du cerveau in utero. Ces travaux sont publiés dans les Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS).

Le THC contenu dans le cannabis doit son action psychotrope à son interaction avec des récepteurs aux cannabinoïdes de type 1 (CB1). Ces récepteurs sont également la cible de cannabinoïdes synthétisés naturellement (ou endocannabinoïdes) qui sont libérés par certains neurones adultes. Leur rôle dans le cadre du fonctionnement normal du cerveau reste encore peu précis. On sait en revanche que lorsque le THC ou des endocannabinoïdes se fixent sur les récepteurs CB1, il se produit une modification de la communication entre les neurones, due à une plus faible libération du neurotransmetteur GABA au niveau des synapses. Le GABA et le glutamate sont deux des principaux neurotransmetteurs cérébraux. Chez l’adulte, le glutamate joue le rôle d’accélérateur de l’activité neuronale cérébrale tandis que le GABA, par son action inhibitrice, joue le rôle de frein de cette activité. L’activité normale des réseaux de neurones résulte d’une action équilibrée de ces deux composés.

Un fonctionnement différent chez le foetus

Pendant les étapes précoces du développement du cerveau, le GABA agit au contraire comme un accélérateur de l’activité, tout comme le glutamate. Or, en l’absence de frein, l’activité neuronale est incontrôlée et évolue vers l’épilepsie. L’équipe Inserm dirigée par Henri Gozlan s’est donc demandée comment l’activité cérébrale pouvait, avec deux accélérateurs, rester sous contrôle pour permettre l’élaboration normale des réseaux neuronaux.

Etant donné que les récepteurs aux cannabinoïdes CB1 apparaissent très tôt au cours du développement du cerveau et que leur activation devrait diminuer la libération du GABA, accélérateur de l’activité neuronale chez le foetus, les chercheurs ont émis l’hypothèse que ce système des endocannabinoïdes pouvait être utilisé par le cerveau comme un frein au cours de la maturation cérébrale.

Les endocannabinoïdes, régulateur du développement cérébral

Afin de valider cette hypothèse, Christophe Bernard et ses collègues de l’Unité 29 Inserm ont travaillé sur des rats âgés de moins d’une semaine, un modèle reconnu pour correspondre à la seconde moitié de la gestation chez l’Homme. Les expériences ont montré que les endocannabinoïdes sont libérés de façon continue et activent les récepteurs CB1 afin de diminuer la contribution excitatrice du GABA. Ils jouent donc bien le rôle de frein pendant les étapes précoces du développement, et stabilisent ainsi l’activité neuronale. Il s’agit là de la première démonstration du rôle physiologique des endocannabinoïdes dans le cerveau en maturation.
Les auteurs ont également constaté que ce contrôle était extrêmement fin. Ainsi, si les récepteurs CB1 sont trop activés, sous l’effet d’une trop grande quantité de cannabinoïdes, par exemple, l’effet de frein est trop puissant et l’activité des réseaux de neurones ralentit considérablement, voire s’arrête. Inversement, si on empêche de manière artificielle l’activation des récepteurs CB1 par des antagonistes de synthèse, l’effet de frein disparaît et l’hyperactivité neuronale qui se développe, aboutit à une crise d’épilepsie. Ces perturbations ayant été observées à la fois in vitro et in vivo, Bernard et al. concluent alors que toute perturbation de ce système de contrôle, pourrait avoir des répercussions graves pour le développement de l’enfant. Ainsi, la consommation de cannabis pendant la grossesse est susceptible de diminuer fortement l’activité cérébrale chez le foetus et par conséquent de nuire à la bonne construction du cerveau. Cette étude pourrait donc apporter une explication au retard mental ainsi qu’aux troubles cognitifs et comportementaux rapportés par des études récentes chez des enfants exposés au cannabis durant la grossesse.

Appliquer le principe de précaution

Bien que la relation de cause à effet ne soit pas fermement établie, le principe de précaution doit prendre ici tout son sens. Comme pour l’alcool ou le tabac, on ignore s’il existe un effet de seuil, un terrain génétique favorisant ou une période critique durant la gestation. De même, les antagonistes de synthèse bloquant les récepteurs aux cannabinoïdes qui sont actuellement développés en vue du traitement de l’obésité et de la dépendance au tabac notamment devront être utilisés avec précaution, sous peine de déclencher une activité neuronale excessive de type épileptique, synonyme d’effets délétères sur le foetus.

Ces travaux ont bénéficié d’une Action Concertée Incitative (ACI) et du soutien de la Fondation pour la Recherche sur le Cerveau (FRC), grâce aux fonds recueillis lors de la campagne de collecte Neurodon.

INSERM source





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